Relations américano canadiennes autour de la guerre civile

Les recruteurs militaires de l'Union au Québec (par Chantal)

Dans un autre topic, j’avais parlé rapidement des soldats canadiens-français qui ont été enrôlés contre leur gré. J’ai pensé que ça vous intéresserait d’en savoir plus sur le sujet. Les informations sont tirées de l’ouvrage de Jean Lamarre « Les Canadien français et la guerre de Sécession ». J’ai aussi ajouté les extraits du journal La Minerve de Montréal dont les dates ont été mentionnées dans les notes de cet ouvrage.

Les recruteurs militaires se « déguisent »!
Les recruteurs militaires ne se montraient pas toujours sous leur vrai jour. Se disant «recruteurs industriels», ils proposaient des emplois aux éventuelles recrues alors qu’ils les destinaient à l’enrôlement. Pour plusieurs observateurs, il s’agissait tout simplement d’une nouvelle stratégie pour attirer les recrues dans l’armée de l’Union : "Des affiches circulent actuellement entre les mains des ouvriers par lesquelles on leur offre de très gros gages s'ils veulent s'engager pour aller travailler aux E-Unis. Ce sont probablement des enrôleurs qui prennent ce moyen de procurer des soldats à l'armée fédérale." (La Minerve, 5 septembre 1863, p. 2.)

Les journaux publiaient régulièrement des témoignages de Canadiens français leurrés par des offres de travail dans le domaine ferroviaire aux Etats-Unis. À leur grand mécontentement, ces hommes ont abouti dans un bureau de recrutement. "(...) Lundi de la semaine dernière, six jeunes Canadiens robustes, de la Pointe-Lévis et du voisinnage, ont été engagés, par un nommé Berger, dans le but ustensible de travailler sur un chemin de fer. Ils furent immédiatement conduits au-delà de la frontière, et ils s'aperçurent qu'ils avaient été enrôlés à leur insu dans l'armée fédérale. Ils eurent bien beau récrier, ils furent d'abord revêtus de l'uniforme. Ils ne se découragèrent pas et firent savoir à leurs amis dans quelle position ils se trouvaient, et ils furent bientôt dépouillés de l'uniforme de soldat et en état de reprendre le chemin de leurs foyers, où ils arrivèrent samedi à la grande joie de leurs parents et de leurs amis. C'est un sujet qui mérite l'attention du gouvernement." (La Minerve, 3 décembre 1863, p.2) Le pire, c’est que les recruteurs militaires trouvaient même le moyen de les dépouiller d’une partie de leur prime.

Les autorités canadienne augmentent la vigilance
Il faudra attendre la fin de 1863 et le début de 1864 pour que la vigilance des autorités permettent d’arrêter de nombreux recruteurs professionnels. "Hier matin, un nommé George Washington Waitt, est passé devant le juge Coursol, sous accusation d'avoir tenté d'enrôler des Canadiens pour l'armée fédérale. Une lettre trouvée sur lui indique qu'il a commission de payer jusqu'à $500 à chaque homme qui voudra s'enrôler. Le procès a été renvoyé à la Cour du banc de la Reine." (La Minerve, 28 novembre 1863.) Samuel Perry, un autre recruteur américain, est arrêté en décembre. Les recruteurs étaient condamnés à des peines d’emprisonnement. Dans les derniers mois de 1864, d'autres contrôles ont permis d’arrêter certains agents américains.

Des recruteurs canadiens-français sont également mis sous les verrous dont Hilaire Couture et un dénommé Bienvenue qui est arrêté à Montréal. "Nous voyons par le News de St. Jean, qu'un Canadien du nom de Bienvenu aliais Welcome a été arrêté en cette ville pour avoir voulu enrôler de ses compatriotes pour l'armée du Nord. Trois témoins (Blanchette, Magione et Lappin) jurèrent que le prisonnier leur avait offert $10 en greenbacks, s'ils voulaient s'enrôler. Il fut renvoyé en prison pour comparaître au prochain terme de la Cour du Banc de la Reine". (La Minerve, 4 août 1864, p. 2.)

Des Canadiens français complices de recruteurs américains
Jean Lamarre a retrouvé la trace de quelques complices de recruteurs américains par le biais des journaux Le Canadien de Québec et La Minerve de Montréal. « (…) Louis Verbois et son épouse sont arrêtés à Québec, en décembre 1863, après avoir recruté 14 Canadiens français et Michel Rochon est accusé et emprisonné en juin 1864 pour recrutement illégal. » Le recrutement est si répandu que l’archevêque de Québec, monseigneur Pierre-Flavien Turgeon, fait appel aux curés. « (…) [Il] émet le 14 janvier 1864 une lettre circulaire qui est distribuée aux curés de toutes les paroisses, et dans laquelle il les engage à mettre leurs paroissiens en garde contre les agents recruteurs qui courant les campagnes pour engages les jeunes à se rendre aux États-Unis sous le spécieux prétexte de leur procurer un emploi dans certaines entreprises publiques mais dans le but réel de les incorporer à l’armée américaine.» (p. 106)

Des témoignages malheureux qui « arrangent » tout le monde !
Il y a un élément intéressant amené par Jean Lamarre qui mérite réflexion. Il est certain que certains enrôlés ont été dupés par les recruteurs militaires. Mais d’autres ont peut-être raconté leur « malheureuse » expérience que dans un but de se justifier aux yeux des autorités. L’historien est même d’avis que dans l’ensemble, ce type de recrutement n’avait pas dans la réalité cette importance. Les témoignages publiés dans les journaux sont utilisés pour tenter de convaincre les gens de rester au pays. «(…) La révélation de la part de Canadiens français d’expériences malheureuses à leur retour au Canada s’inscrit dans une volonté de justifier leur enrôlement illégal aux yeux de la justice britannique et d’éviter l’emprisonnement. De leur côté, presse et clergé se saisissent de ces cas afin de décourager toute migration vers les Etats-Unis de quelque nature qu’elle soit. » (p. 107)

Intéressant Law. Un peu comme les "malgré nous" et ceux qui n'étaient pas "malgré"...

Oui c'est ça.

oki les enlisted

Ceci ne serait il pas l'arbre qui cache la foret il y avait une tel misère dans ces contrées à cette époque,

que c'était peut êtres un moyen pour faire peur aux candidats au départ.

Existe t'il des chiffres sur les canadiens dans les forces U.S à cette époque ??????


à plus

De la grande visite à Québec en août 1865 ! Par Chantal

Chantal est une amie québécoise que nous avons rencontrée l'été 2014, elle est documentaliste et a accès à une mine de documents. Comme elle est bilingue elle traduit des documents fort intéressants de la librairie du congrès.


Début juillet 1865, Grant, accompagné de son épouse Julia, quittèrent Washington pour un voyage d’agrément. Ils visitèrent Boston, le Maine et firent un arrêt à Québec le 5 août. Cette visite est loin d'être passée inaperçue! Grant reçut un accueil enthousiaste dans la Vieille Capitale. En apprenant cette anecdote, j'ai voulu en savoir plus en fouillant des les journaux de l'époque.

On retrouve la nouvelle dans Le Canadien de Québec (7 août 1865). Voici l'article en question :




Voici quelques photos de lieux cités dans l'article. Elles sont disponibles sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec :

Marché Champlain et du port de Québec vers 1870



Spencer Wood vers 1859


 
Hôtel St-Louis vers 1870  





Comme de raison la nouvelle a été aussi reprise dans les journaux de Montréal. Voici ce qu'on pouvait lire dans La Minerve du 8 août :





Enfin, la palme du plus long article doit être remise au journal anglophone de Québec, The Morning Chronicle and Commercial and Shipping Gazette, qui a commencé l'article avec une biographie de Grant et une longue démonstration de ses faits d'armes!  En raison de la longueur de l'article, j'ai inclus que la section qui concernait sa visite à Québec :



 


Dernier point à ce sujet. Quelques biographies de Grant font mention de ce voyage. Celle qui donne le plus détails sur sa halte à Québec est Ulysses S. Grant; his life and character par Hamlin Garland (1898). L'auteur y explique que la nouvelle de la venue de Grant avait inquiété certaines personnes qui voyaient dans cette visite un « agenda caché » et qu'il allait en profiter pour étudier les défenses du Canada. (p. 335)

Cette crainte, attisée par les journaux nordistes, était bien présente à l'esprit des Canadiens. Dans le contexte de l'après-guerre, on croyait que les États-Unis attaqueraient le Canada pour se venger de l'Angleterre. Cette crainte est d'ailleurs une des raisons qui a poussé les futures provinces (Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, Ontario et Québec) à se regrouper pour former la Confédération canadienne en 1867.

Des informations forts pertinentes sur la visite de Grant tirées de l'ouvrage de John Boyko, "Voisins et ennemis" (p. 313) :
«(...) Évidemment, ses interlocuteurs l'interrogent sur les intentions américaines vis-à-vis du Canada. Habile et diplomate, Grant évite de se prononcer frontalement sur l'annexion ou l'invasion. Il laisse toutefois la porte ouverte à une telle intervention en indiquant aux journalistes que les États-Unis pourraient envisager d'envahir le Canada si la Grande-Bretagne soutenait les Français au Mexique.»

Référence:
Boyko, John. Voisins et ennemis : la guerre de Sécession et l'invention du Canada. Québec, Presses de l'Université Laval, 2014. 393 pages.

Merci Law pour cet article très intéressant.
Quant au livre je pense que je vais me l'offrir,mais chuuuutt c'est une surprise, je ne le sais pas.....