Le 14 septembre 1759, le marquis de Montcalm meurt en défendant la ville de Québec. Il a été blessé la veille lors d'un assaut donné par les troupes anglaises du général James Wolfe.
La Nouvelle-France convoitée
Trois ans plus tôt a débuté la guerre de Sept Ans, véritable guerre mondiale avant l'heure, opposant la France, l'Autriche et quelques autres États à la Prusse, à l'Angleterre et au Hanovre.
Tandis que sur le continent, les Prussiens résistent aux coalisés, les Anglais concentrent leurs efforts sur les possessions coloniales de la France. Appelé au gouvernement par le roi Georges III en 1757, le Premier ministre anglais, William Pitt the Elder (l'Ancien) engage toutes ses forces contre les possessions de la France en Inde et au Canada, en Nouvelle-France.
La France de Louis XV, trop absorbée par sa guerre contre la Prusse sur le continent européen, s'abstient de répliquer. Dans une première phase, les Français du Canada remportent de nombreuses victoires avec l'appui de leurs alliés indiens. Leurs bandes, formées pour l'essentiel de Canadiens nés dans la Nouvelle-France, opèrent des coups de main audacieux. C'est ainsi qu'en février 1756, le chevalier de Léry s'empare du fort Bull, sur le lac Onéga.
Mais le commandant des troupes françaises ayant été fait prisonnier, Paris décide de le remplacer par un marquis de la métropole, Montcalm.
Un marquis courageux
Louis-Joseph de Saint-Véran, marquis de Montcalm, seigneur de Candiac, Tournemine, Vestric, Saint-Julien et Arpaon, baron de Gabriac, est né le 28 février 1712, au château de Candiac, près de Nîmes. Il appartient à une famille ancienne et distinguée de la noblesse de robe, qui s'est tournée au XVIIe siècle vers la carrière militaire.
A l'âge de 9 ans ( !), Louis-Joseph de Montcalm reçoit une commission d'enseigne dans le régiment de Hainaut et huit ans plus tard une commission de capitaine dans le même régiment. Ces grades furent achetés comme il était courant à l'époque. Entre temps, son instruction aristocratique avait été confiée à un précepteur privé que l'opiniâtreté et l'entêtement de son élève désolait.
C'est en 1732, à l'âge de 20 ans, que Montcalm débute sa carrière militaire. Il sert tout d'abord en Rhénanie, et ensuite pendant la guerre de succession d'Autriche, où il récolte sa première blessure au siège de Prague. Il devient colonel du régiment d'Auxerrois et Chevalier de saint Louis, distinction accordée très certainement pour ses actes de bravoure... Bravoure qu'il continue à démontrer lors de l'anéantissement de son régiment, au cours de la bataille de Piacenza (Italie, 1746) où il est à nouveau blessé. Il l'est encore, pour la troisième fois, au cours d'une autre défaite, à la bataille d'Assiette, dans les Alpes italiennes.
La paix est signée en 1748 et pendant les sept années qui suivent, Montcalm vit la vie d'un gentilhomme de province entre son château de Candiac et la vie sociale de Montpellier. Il surveille l'éducation des cinq enfants, deux garçons et trois filles, qu'il a eus de son mariage, en 1736, avec Louise Talon de Boulay. C'est alors qu'on lui propose de prendre le commandement des troupes qui combattent en Nouvelle-France. Il est à cet effet nommé maréchal de camp.
Montcalm appareille de Brest le 3 avril 1756, en compagnie du colonel Bougainville et d'un état-major comprenant le chevalier de Lévis et le colonel Bourlamaque. Il arrive à Québec le 13 mai.
Une stratégie inédite
Comme le nouveau commandant est obligé de partager l'autorité avec le gouverneur de la colonie, Pierre Rigaud de Vaudreuil, cette situation ne tarde pas à créer des tensions entre les deux hommes; tensions accentuées chez Montcalm par un caractère méridional doué d'un esprit caustique et ne pouvant pas toujours contrôler son langage.
Le gouverneur Vaudreuil préconise une guerre de harcèlement en utilisant les milices canadiennes et les tribus indiennes ralliées, l'utilisation de troupes supplétives étant déjà un apanage bien français. Il désire que l'armée régulière soit surtout utilisée pour la protection de la Nouvelle-France contre les Anglais.
Montcalm, féru de la stratégie européenne de l'attaque en lignes et bataillons serrés, change de tactique. Avec un certain succès, il concentre ses offensives sur les forts, renonce aux coups de main et délaisse les alliés indiens. Mais il ne dispose pour cela que de quelques milliers d'hommes tandis que William Pitt en aligne des dizaines de milliers, venus de Grande-Bretagne et des colonies anglaises d'Amérique.
Dès son arrivée, Montcalm attaque le fort Oswego qui surveille le lac Ontario. Il fait construire une route nécessaire au transport de son artillerie de siège. Ces pièces lui donnent la victoire après un très court bombardement qui permet l'approche à portée de tir des mousquets des Canadiens et des Indiens. La prise du fort se solde par 1700 prisonniers et la capture de nombreux vaisseaux.
Au début de 1757, comme les Anglais préparent de nouvelles attaques, Vaudreuil demande à Montcalm de prendre le fort William Henry, défendu par 2500 hommes sous le commandement du général Georges Monro. Le 6 août, le marquis fait creuser une tranchée qui amène ses huit pièces d'artillerie à tir courbe à portée du fort. Il s'ensuit un bombardement intensif pendant 3 jours et la garnison anglaise demande les conditions d'une reddition honorable. Ce qui lui est accordé dans le style courtois de l'époque.
Les Anglais obtiennent de se retirer avec les honneurs, c'est-à-dire avec armes et bagages. En contrepartie ils s'engagent à ne pas combattre les Français pendant 18 mois et à rendre tous leurs prisonniers. Mais ainsi qu'il est relaté dans le célèbre roman de Fénimore Cooper, Le Dernier des Mohicans , les troupes supplétives indiennes, difficiles à contrôler et dont Montcalm disait qu'il valait mieux les avoir avec soi plutôt que contre soi, se livrent à des exactions, et pas des moindres, tuant de nombreux Anglais et en faisant prisonniers 500. Montcalm intervient avec ses officiers et fait cesser le massacre. Il libère 400 captifs. Les autres seront libérés plus tard contre rançon.
Les Anglais prétextent de ces incidents pour refuser d'excuter les termes de leur capitulation, privant ainsi Montcalm des fruits de sa victoire. En 1758, ils lancent contre la Nouvelle-France la plus grosse armée jamais réunie en Amérique du Nord, soit 6000 Anglais et 9000 colons américains sous les ordres du major général James Abercromby.
Victoire sans lendemain
Montcalm, que les Canadiens connaissent maintenant très bien et qu'ils appellent couramment «Le Grand Marquis», se propose de bloquer l'offensive anglaise à Fort Carillon. Il dispose d'une garnison de seulement 3600 hommes dont 400 miliciens canadiens et Indiens. Il a auparavant fait nettoyer les glacis au pied du fort et y a implanté des lignes de pieux et abattis, à l'abri desquels se placent de fins tireurs.
Le 8 juillet 1758, au matin, des rumeurs confuses sortent des bois : commandements anglais proférés d'une voix sourde, cliquetis de sabres et de baïonnettes, déplacements d'hommes et de matériel,... Les Français en habit bleu roi et buffleteries blanches attendent calmement, transpirant sous un soleil tropical. «Mes enfants, dit Montcalm, la journée sera chaude», et il met l'habit bas (*).
Un peu après midi retentit le premier coup de canon et aussitôt les lignes serrées anglaises en habits rouges montent à l'assaut au son des fifres et des cornemuses, dans une tenue superbe, sur le terrain que Montcalm a choisi. Elles sont rompues par le feu des Français lorsqu'elles veulent se frayer un passage dans les abattis.
Tout l'après midi, les rangs anglais se reforment et sont sans cesse repoussés. Montcalm, méprisant le risque, ne cesse de parcourir les différentes défenses du fort, jaugeant d'un regard infaillible, l'évolution des engagements. A sept heures, l'armée anglaise tourne les talons et s'enfuit en désordre, poursuivie par les tirailleurs français. C'est une accablante défaite pour les Anglais qui comptent 1944 morts et blessés alors que le camp français n'en déplore que 377.
Pourtant, malgré cette victoire, il ne fait guère de doute que la conquête de la Nouvelle-France par l'armée anglo-américaine, n'est que partie remise.
Résistance désespérée
Les Anglais peuvent encore aligner 30.000 hommes de troupes régulières face à seulement 7.400 Français. Montcalm demande donc que la ligne de front soit resserrée par l'abandon de la vallée de l'Ohio et des avants-postes des lacs Ontario et Champlain. Il réclame aussi l'incorporation de 3000 colons. Il veut enfin que soient proposés des pourparlers de paix avant que les Anglais ne déclenchent leur offensive. Mais il n'est pas suivi...
En mai 1759, vingt navires de ravitaillement atteignent la Nouvelle-France. Il n'y a à bord que 331 recrues et une poignée d'officiers. Les Anglais ont reçu quant à eux un renfort de 8.500 hommes sous le commandement du général James Wolfe. À coups de boutoir, ils enlèvent un à un tous les forts qui protègent les principaux centres, Montréal, Québec et Trois-Rivières.
Le 20 juin 1759, une armée de 40.000 hommes appuyée par 150 vaisseaux commence le siège de Québec, que protègent 6.000 soldats. Le général James Wolfe (32 ans) lance ses troupes à l'attaque le 31 juillet. Les assaillants sont repoussés avec de lourdes pertes. S'ensuivent d'autres assauts infructueux pendant tout le mois d'août. Le général anglais, par ailleurs malade, décide cependant de livrer un assaut de la dernière chance.
Dans la nuit du 12 au 13 septembre, il escalade avec 5.000 soldats un promontoire situé en amont de la ville et masse ses troupes dans les plaines d'Abraham, à moins d'un mille de la ville de Québec.
Lorsque Montcalm apprend que les Anglais ont établi une tête de pont, il accourt pour libérer la position. Il tente une attaque contre l'ennemi, dont la fusillade nourrie fauche des centaines de Français et Canadiens.
Montcalm ordonne de faire retraite vers la ville. Lui-même, à cheval, ferme la marche. Il est frappé par une balle juste avant de franchir, l'un des derniers, la porte Saint-Louis. Le général Wolfe a été lui aussi mortellement blessé.
Montcalm meurt à l'aube, à cinq heures du matin, après avoir reçu les derniers sacrements et demandé à son aide de camp d'écrire à sa famille pour leur faire ses adieux. Il a, quelques moments avant, demandé à son chirurgien combien de temps il lui restait à vivre : «Quelques heures à peine», lui fut-il répondu. «Tant mieux, dit le marquis, je ne verrai pas les Anglais dans Québec».
Après sa mort, les Français tentent de regrouper leurs forces mais la ville de Québec, lassée des bombardements, finit par se rendre aux Anglais le 18 septembre, à la grande indignation du chevalier Gaston-François de Lévis : Il est inouï que l'on rende une place sans qu'elle soit attaquée ni investie».
Au printemps 1760, arrivé de Montréal, le chevalier de Lévis tente de reprendre Québec aux Anglais. Il les défait non loin de la ville, à Saint-Foy. Mais au lieu des renforts qu'il attend, c'est une escadre anglaise qui arrive sur le fleuve, pour secourir les assiégés.
Le gouverneur Vaudreuil n'a plus qu'à capituler en demandant l'assurance pour les habitants de pouvoir continuer à pratiquer leur religion catholique.
C'est peu après le tour de Montréal, dernière ville encore française. Trois armées anglaises d'un total de 11.000 hommes l'encerclent. Lévis demande au gouverneur la permission de tenter une sortie avec ses 2400 hommes. L'honneur de l'armée française est en jeu. Le sort des habitants de Montréal aussi.
Le gouverneur de Vaudreuil choisit celui-ci. Le 8 septembre 1760, il signe une capitulation qui garantit l'intégrité physique et les droits des habitants (à son retour en France, cette capitulation sans gloire lui vaudra d'être enfermé à la Bastille). De son côté, le chevalier de Lévis ordonne à ses troupes de «brûler leurs drapeaux pour se soustraire à la dure condition de les remettre aux ennemis».
Fidélité dans l'épreuve
Par le traité de Paris du 10 février 1763, Louis XV cèdera la Nouvelle-France aux Anglais.
Bien qu'abandonnés par la mère patrie, les habitants de la province, arrivés un siècle plus tôt de la région de Mortagne-au-Perche, resteront attachés à leur langue et à leur religion. Au nombre de 65.000 environ, ils résisteront avec succès aux pressions de l'administration anglaise grâce à leur détermination... et à une fécondité exceptionnelle, l'une des plus élevées du monde.
De 70.000 au XVIIIème siècle, les Québécois sont devenus 7 millions aujourd'hui. Leur présence constitue la principale différence entre les sociétés canadienne et étasunienne. Elle préserve le Canada de la tentation de fusionner avec les États-Unis.