Portrait de John Colter par le peintre Gerry Metz spécialisé dans les vues supposées de la conquête d’une Amérique aujourd’hui disparue. Il a notamment publié un recueil sous le titre du « Voyage Improbable » relatant le voyage de Lewis et Clark. Pendant huit ans, Gerry Metz a parcouru la route suivie par l’expédition afin d’accumuler des références sensorielles et visuelles en vue de la réalisation de plus de 60 peintures et croquis que l’on retrouve dans cet ouvrage ; un livre décrivant leur voyage épique de Saint-Louis jusqu’au Pacifique et retour..
Si un homme représente bien le Yellowstone, il ne peut s’agir que de John Colter.
En 1803, Lewis et Clark embauchent John Colter pour un salaire de 5,00 $ afin de servir comme guide et chasseur dans l’expédition qui va les faire traverser toute l’Amérique du nord.. Colter remplit parfaitement sa mission devenant l'un des meilleurs chasseurs et guides du groupe.
Alors que l'expédition est sur le retour en 1806, la petite troupe rencontre deux trappeurs nommés Forest Hancock et Joseph Dickson , qui se rendaient sur les rives de la Yellowstone. Colter est aussitôt intéressé et n’hésite pas longtemps avant se décider. Il veut reprendre sa vie de trappeur et les nouveaux territoires de chasse dont parlent les Hancock et Dickson semblent être prometteurs. De toute façon, qu’a-t-il à gagner dans le retour vers la civilisation qu’il a toujours fui. Il annonce sa décision à Lewis et Clarke qui le laissent quitter l’expédition. Quelques heures plus tard, les trois hommes prennent le chemin de la Yellostone. Nous sommes en août 1806 et c’est probablement à cette occasion qu’un homme blanc foula pour la première fois l’herbe du Yellowstone.
A Saint-Louis, les nouvelles rapportées par l’expédition Lewis et Clarke et tout particulièrement le fait que les Rocheuses regorgeaient d’animaux à fourrure, ont généré un réel engouement parmi les commerçants et les trappeurs qui y résident. Manuel Lisa, entrepreneur particulièrement avisé, est l’un d’eux. Il vient de constituer une société de traite de fourrure et est décidé de suivre la piste Lewis et Clark. Il quitte Saint-Louis à la tête de son groupe de trappeurs au printemps 1807. Ils sont une cinquantaine sur la route de nouveaux territoires de chasse, avec parmi eux des anciens de Lewis et Clark comme George Drouillard, John Potts, et Peter WiserColter. En cours de route, il rencontre Colter qui leur parle de la Big Horn river. Manuel Lisa, qui connaît son implication dans l’expédition de Lewis et Clark, voit aussitôt une opportunité pour sa compagnie dans l'enrôlement de cet homme. Colter accepte sans difficulté.
Arrivé dans le Montana, le groupe de trappeurs que mène Colter construit à la mi-novembre un campement d’hiver qu’il dénomme Fort Raymond à l’embouchure de la Big Horn et de la Yellowstone, à une courte distance de l'embouchure de la Bighorn River. John Colter et George Drouillard de leur côté sont allés à la rencontre des tribus crows afin de négocier des peaux. Drouillard vers l’ouest, et Colter vers le sud. Il y a parcourru plus de 500 miles à pied, armé d’un fusil, dans la neige au coeur de l’hiver. Avec l'aide de guides indiens, il a sans doute été le premier homme blanc à traverser les montagnes de Wind River, à parcourir la chaine des Tetons, à contempler le Jackson Hole et le lac Yellowstone. De retour à Fort Raymond au printemps de 1808, il a décrit les merveilles visuelles que lui avait offert Yellowstone et notamment ces merveilleux sites où la roche semble jouer avec les eaux et le feu. En dépit du scepticisme que souleva son extraordinaire expédition, Yellowstone fut rapidement surnommé du nom d’"enfer de Colter"
L’opération de Lisa fut largement couronnée de succès. Les peaux affluèrent au fort Raymond. Et Quand Lisa revint à Saint-Louis, tous les négociants en peaux se décidèrent à participer à l’opération. Une seconde expédition fut organisée. Elle comprenait 13 embarcations, au lieu de 2 pour la première qui remontèrent le Missouri au printemps 1811. Cette expédition fut celle qui établit la réelle prise de possession des Rocheuses. En quelques mois, plusieurs comptoirs furent construits, quadrillant le territoire riche en peaux et en différentes tribus affiliées au commerce de Lisa.
Peu de temps plus tard, Colter se lance dans une nouvelle équipée avec un autre trappeur qu’il avait connu lors de l’expédition Lewis and Clark ; Il s’appelait John Potts et avait décidé de suivre Colter dans la région des Trois-Fourches, au Montana. La région était un territoire de chasse des Pieds-noirs ;.un peuple indien dont il fallait se méfier car ils détestaient les trappeurs. L’origine de la haine que les Pieds-noirs vouaient aux hommes blancs provenait d’un incident qui s’était déroulé lors de l’expédition de Lewis et Clark. Le capitaine Lewis avait tué sans sommation un de ces guerriers alors qu’il tentait, semblait-il, de voler des chevaux de l’expédition. Colter et Potts savaient cela. Ils prenaient donc leurs précautions pour éviter de se faire remarquer en posant leurs pièges le soir et en les relevant le matin avant de se cacher pour le reste de la journée. Toutefois, un matin, alors qu’ils nageaient dans leur canot sur un bras de rivière, ils entendirent quelques bruissements sur la rive.
- Indiens ! souffla alors Colter en faisant aussitôt le signe de nager vers l’arrière.
- Buffalo ! lui répondit Potts en continuant de pagailler.
Brutalement les indiens apparurent sur chaque rive.
Ils étaient des centaines. Colter et Potts, assis dans leur canot, leur pagaies à la main n’eurent pas le temps de prendre leurs armes que déjà des lances étaient pointées vers eux et des arcs bandés vers leur torse.
L’un des guerriers leur fit signe de s’approcher. Ne pouvant s’échapper, les deux hommes pagayèrent vers le rivage. Le canot vint s’échouer sur le rivage. Aussitôt un indien se saisit du fusil de Potts qui était posé à la proue. Colter , alors sauta hors du canot et le lui arracha des mains puis le tendit à Potts. Celui-ci alors dans un geste fou tira et tua le voleur, mais tomba aussitôt à terre, son corps criblé de flèches. Colter ne bougea pas. Les guerriers se saisirent alors des armes puis du paquetage des deux trappeurs. Ils détruisirent le canot et dévêtirent le cadavre de Potts. Enfin, ils obligèrent Colter à se déshabiller. Lorsque Colter fut nu, ils lui ordonèrent de partir et de courir. Colter connaissait cette coutume guerrière, la «chasse à l’homme. Mais en véritable homme des bois, Colter était un coureur très rapide et très endurant. De plus, il connaissait toutes les ruses des chasseurs pour se faufiler sans être vu et avancer dans le silence le plus total. Mais pour l’instant, il fallait courir avec à peine l’avantage d’une centaine de mètres au cœur d’une vaste prairie dénudée. Il savait toutefois qu’en se dirigeant vers le nord, il trouverait à six miles de là, les rives boisées de la rivière Jefferson. Il y courut de tout son souffle. Et petit à petit réussit à gagner du terrain sur ses poursuivants. Il parvint à distancer la majorité du groupe. Un seul guerrier parvenait à le suivre et même à gagner du terrain sur lui. Colter épuisé, décida finalement de lui faire face. Lorsque l'Indien surgit devant lui, une lance à la main, il lui assena un violent coup d’épaule, plus d’ailleurs pour échapper à la pointe mortelle que pour faire trébucher l’indien. Mais peu importait. Il se saisit de la lance que l’indien avait lâchée et la ficha dans sa poitrine. A son tour, Colter récupéra la tunique que le guerrier portait sur lui et reprit aussitôt sa fuite. Arrivé près de la rivière Jefferson, il entendit à nouveau le reste de la troupe des pieds-noirs. Il se précipita alors entre les arbres et les broussailles afin de les distancer à nouveau. Puis, un peu plus loin en aval, il plongea dans l’eau tumultueuse, trop épuisé pour continuer à courir, préférant profiter du courant pour s’éloigner quitte à se rompre le cou contre un rocher et mourir noyé.
La rivière l’emporta sur quelques miles comme un pantin désarticulé. Colter ne pensait qu’à se maintenir au milieu des flots, guidant son corps sur les eaux comme il menait son canot. Puis, elle se calma et le laissa essoufflé mais vivant sur une étendue plus large et calme que rompait au fond une île sur laquelle s’était échoué un amas de tronc d’arbres, enchevêtrés de bois flottés. Ce n’était pas un barrage de castors, c’était bien trop imposant. Mais les castors lui donnèrent une idée. Il s’en approcha puis plongea sous le tas de rondins, de branchages et de feuilles pourries qu’avait charriés la rivière. Il trouva finalement un interstice dans la masse végétale où il put sortir la tête pour respirer tout en restant caché. Il avait à peine repris son souffle qu’il entendit les cris des indiens qui fouillaient les rives de la rivière. Pendant des heures, les indiens s’acharnèrent à détruire le barrage, enfonçant leurs lances à travers les énormes bûches. L’une d’elle passa à quelques centimètres de son corps. Il ne bougea pas. Les indiens, découragés, tentèrent de mettre le feu à l’amas de bois, mais l’humidité qui l’imprégnait ne put l’alimenter. Après plusieurs heures d’attente, alors que les indiens semblaient avoir disparu, Colter, bien que frigorifié, ne bougeait toujours pas. Ses pieds nus, ensanglantés par la course, le faisaient horriblement souffrir. La faim le tenaillait. Il luttait pour ne pas se laisser couler dans l’eau glaciale, ses doigts crispés sur quelques troncs.
A la nuit déjà largement tombée, il se décida à sortir de sa cachette. Nageant lentement, en évitant de faire le moindre clapotis, il descendit la rivière jusqu’au petit matin. Il aborda alors une rive sur laquelle quelques taillis le cachèrent le temps qu’il reprenne quelques forces. Seul, nu, à la limite d’une hypothermie, Colter décida, là encore, de rester caché avant de reprendre la fuite. Le soleil lui apporta quelque réconfort et lui permit de se relever le soir tombé.
Pendant une dizaine de jours, Colter marcha pendant plus de 200 miles jusqu’au Fort Raymond avec seulement la tunique de l’indien mort pour se réchauffer et des racines et de l'écorce pour se nourrir. Arrivé devant la palissade du fort, il s’écroula à moitié mort, mais sauvé.
Cettte expérience ne fit pas renoncer Colter à cette vie d'aventures. Il signa un nouvel engagement pour une mission qu’organisa la « Missouri Fur Company » en 1810. Le groupe fut à nouveau attaqué par des guerriers Pieds-noirs. Colter se jurea alors ne plus tendre la corde de la chance et se promit de revenir à Saint- Louis s’il en sortait vivant. Ce qu’il fit à la fin de 1810, il avait été loin des hommes de son propre monde pendant près de six ans. Il a fourni des renseignements très précieux pour William Clark , qui établit les cartes des contrées que nous parcourrons. Il acheta finalement une ferme près de New Haven, dans le Montana. Là, il épousa une femme nommée Sally et le couple eut un fils. Cependant sa vie tranquille lui pesait. Il ne se sentait pas l’âme d’un fermier. Il rongea son frein pendant quelques mois jusqu’au début de 1812.
A cette époque, les États-Unis entraient en guerre contre la Grande-Bretagne. Colter en profita et s’enrôla le 3 mars. Combattant avec Nathan Boone, il décéda quelque semaines plus tard, le 7 mai de la même année, non pas sous le feu des soldats britanniques ou de leurs éclaireurs indiens mais, ironie de l’histoire, tout bêtement d’une jaunisse. Après sa mort, ses restes ont été renvoyés à son épouse. Sally, effondrée de douleur, a été incapable de fournir une sépulture décente au corps de son époux. Elle abandonna le corps sur le lit conjugal ,ferma porte et fenêtres et quitta définitivement la maison de bois pour trouver refuge chez son frère.
On raconte que personne ne pénétra dans la maison où le corps de John Colter reposait. Malgré les années qui passaient et réduisaient la cabane petit à petit en ruines, il y avait un tel respect que quiconque n’aurait osé venir le déranger dans son dernier sommeil.
C’est 114 années plus tard, en 1926, que le terrain sur lequel s’élevait jadis la ferme de Colter fut dégagé et fouillé. On y retrouva ses os, ainsi qu'une pochette en cuir sur laquelle était peint son nom. Ses restes furent alors rassemblés et enterrés sur une falaise à New Haven qui surplombe le Missouri. Une pierre tombale toute simple fut posée. Elle ne porte pas d’épitaphe. Pour ma part, j’aurai bien écrit, en souvenir de la course folle qui lui avait sauvé la vie ‘Ici repose l’homme qui incarne ceux qui furent les véritables découvreurs de l’ouest, les COUREURS DES BOIS ».
Je tiens en partie cette histoire d’un texte que rédigea en 1913 Addison Erwin Sheldon, et du site Legends Of America. Pas mal de bouquins consacrés à cet homme extraordinaire ont été écrits : par Burton Harris sous le titre « John Colter, 8 years in the Rockies (Lincoln: University of Nebraska Press, 1933) par Burton Harris.
Plus récemment, « John Colter: The Legend of the First Mountain Man” par Don Amiet ou encore « Colter’s Run » par Stephen T.Gough a été édité par Stoneydale Press Publishing Co.
Et enfin, l’une de ses arrière arrière petite fille, Lillian Ruth Colter-Frick, a écrit « Courageous Colter and Companions »
Mais que je sache, aucun ouvrage sur le sujet n’a été publié en France. Ce qui est quand même regrettable. Sous prétexte que les terres sont américaines, notre intérêt pour ces lieux et cette époque, et plus grave encore, l’enseignement institutionnalisé dédaignent totalement l’histoire de la Louisiane alors qu’il s’agissait d’une terre française. On oublie trop souvent que toute cette partie de l’ouest américain – mais aussi canadien- a été sillonnée par des trappeurs français, ce qui explique notamment le nombre de lieux aux ascendances bien de chez nous. Il est probable que l’expédition de Lewis et Clark n’aurait jamais été menée à bien sans l’apport des guides et chasseurs français. Je considère même que l’histoire de ces lieux est une parabole sur l’affrontement de deux types de sociétés. D’un côté, les français, immergés dans la nature, intégrés en grande partie dans les tribus indiennes, en grande symbiose avec l’environnement et finalement s’en contentant. De l’autre côté, les anglais, et cette volonté de tout plier à leur volonté, de tout régenter, de tout exploiter. Si la France equinoxiale s’était fondue dans l’Amérique, c’est au contraire l’Amérique qui s’est diluée dans l’Angleterre.
http://usbis.uniterre.com/217613/Anecdote+%3A+de+chasseur+%C3%A0+gibier.html