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"Shérif Jackson": un jeu habile et froid avec les codes du western
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]Eduardo Noriega et January Jones dans Sherif Jackson, de Logan Miller | Lorey Sebastian
Prostituée repentie, Sarah (January Jones) vit très simplement, dans une ferme isolée, avec son mari Miguel. Mais un soir, Miguel ne revient pas... Sarah se met à soupçonner le "prophète Josiah" (Jason Isaacs), à la tête d'une secte de fondamentalistes voisine de leur propriété, à qui Miguel avait eu le tort de tenir tête. Par un autre chemin, le shérif Jackson (Ed Harris), redresseur de torts excentrique à la recherche de deux frères disparus, en vient également à surveillerde près Josiah... Les chemins de ces trois personnages hauts en couleurs ne vont pas tarder à se croiser, et la rencontre ne se fera pas sans heurts.
Archi-western ou anti-western, Shérif Jackson s'approprie trop visiblement les codes du genre pour que l'on ne le soupçonne pas rapidement de vouloir les détourner. L'opération se concentre essentiellement sur le personnage éponyme, sorte de justicier fou qui ponctue ses missions de quelques pas de danse, joue avec le feu sans jamais perdre de son calme, s'amuse beaucoup, surtout lorsque le danger règne, mais reste au fond de lui-même d'un éminemment sérieux. Dans l'interprétation délicieuse que Ed Harris en donne, le shérif Jackson n'a pas grand-chose de l'homme de loi à la John Wayne, mutique et concentré, sensible, mais rarement rigolo.
Cependant, au-delà de ce fascinant personnage – qui apparaît au demeurant beaucoup plus brièvement que le titre ne le laissait entendre –, il reste assez difficile de savoir ce qui, dans Shérif Jackson, relève du premier et du second degré, et pourquoi. Le prophète Josiah est évidemment excessif, et Jason Isaacs s'en donne à cœur joie, dans un renoncement libérateur et quasi-mystique à toute forme de subtilité dans le jeu. Josiah a tout le code: polygame, faux calme furieux sous ses vêtements raffinés, passionnément cruel, luxurieux, méchant, jaloux, vicieux. Il est même trop codifié pour être neuf, tout comme Sarah (January Jones), la mort en robe de bal, justicière impitoyable qui ne dit presque rien, toute aux élégances de sa dégaine et de ses gestes.
EST-CE DRÔLE?
Qu'est-ce donc que ce Shérif Jackson ? Est-ce drôle ? Il y a trop peu d'inventivité dans le détournement, si détournement il y a, et trop de sérieux dans la mise en scène pour que l'humour y ait la moindre place hors les quelques élans loufoques qui saisissent le shérif comme autant d'accès de folie.
Est-ce sombre ? Les personnages sont trop stylisés, trop prisonniers du code pour qu'on les aime ou les haïsse, et leurs règlements de comptes ne sont pas les nôtres. Leur histoire reste abstraite jusque dans le sang, à l'exception de celle de Sarah dans la première phase de son histoire, celle qui précède la vengeresse endimanchée et dédaigneuse : toute simple dans son jeu, January Jones donne au bonheur puis au bonheur perdu bien plus de sève qu'à sa quête de justice, et la séquence en deux temps où, son mari disparu, elle s'aperçoit qu'elle est en train de faire une fausse couche, est superbe. Muette, cette douleur-là est grande.
Hésitant entre le saloon et le cimetière, Shérif Jackson reste un film terriblement froid, sans cœur ni âme. On l'observe, avec une curiosité parfois très satisfaite – car les deux réalisateurs ne manquent pas d'idées, on goûte de belles trouvailles visuelles, mais on n'y entre pas, et la vie y étant aussi froide que la mort, les deux se mêlent dans l'indifférence tandis que justice et vengeance, incapables de toute brûlure, se bornent à faire avancer l'histoire.
Film américain de Logan & Noah Miller, avec Ed Harris, January Jones, Jason Isaacs et Eduardo Noriega (1h35).